Début janvier 2021, le gouverneur du Brabant flamand souhaita lancer la campagne de sensibilisation à la vaccination contre le coronavirus avec une vidéo sur son compte Facebook. Dans cette vidéo, une spécialiste en matière de vaccination répondait à quelques questions sur la vaccination. Le service Noodplanning du Brabant flamand, un service fédéral, demanda ensuite aux communes de partager cette vidéo sur leurs médias sociaux. Suite à une question du fonctionnaire d’information d’une commune périphérique, deux questions furent soumises au service de l’adjoint du gouverneur :
Selon la systématique de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, les services du gouverneur du Brabant flamand sont des services régionaux. La province du Brabant flamand compte sept communes à facilités, à savoir les six communes périphériques et la commune de la frontière linguistique de Biévène. Par conséquent, l'article 34, § 1 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative doit être appliqué:
Facebook offre d’une part la possibilité de publier des messages sur des pages générales et, d'autre part, d'envoyer des messages spécifiques à un niveau individuel. Pour les messages généraux publiés dans des ‘espaces publics’ tels qu’une page Facebook, un mur (tableau d'affichage) ou des groupes publics, et destinés à tout visiteur, follower ou ‘ami’, le régime linguistique imposé aux avis et communications doit être respecté. Il en va de même pour les informations accessibles uniquement à un groupe cible spécifique par le biais des ‘groupes’, ou pour les pages privées.
Les messages envoyés au niveau individuel sont soumis aux prescrits linguistiques des rapports avec un particulier.
La vidéo avec la spécialiste en matière de vaccination était accessible à tout visiteur de la page Facebook et relève donc du régime imposé aux avis et communications directs. Par conséquent, sur la base de l'article 34, § 1er de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, la vidéo devait être postée en néerlandais sur le compte Facebook du gouverneur.
Lorsque le service Noodplanning, un service fédéral, demande aux communes de diffuser la vidéo par le biais de leur site web ou de leur compte Facebook, le régime imposé aux avis directs n’est pas d’application. Les avis diffusés par l'intermédiaire des communes suivent la réglementation imposée à ces administrations. Ainsi, sur la base de l'article 24 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, le néerlandais et le français sont utilisés dans les communes périphériques.
La commune reçut également la question de savoir si les avis relatifs à la lutte contre la pandémie du covid-19 pouvaient eux aussi être rédigés dans d’autres langues que les langues imposées par la loi
Quant aux avis ‘directs’, l’adjoint du gouverneur se référa à la position de la Commission permanente de Contrôle linguistique sur une lecture stricte de l'article 34, § 1er. La Commission considère que le terme ‘directement’ dans l’article de loi se réfère aux avis et communications dans et sur les bâtiments du service. Selon la Commission, cette qualification est en principe également attribuée aux avis sur un site web. Par conséquent, la vidéo sur la page Facebook du gouverneur devait être publiée en néerlandais.
Une interprétation littérale de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative implique que tous les autres avis et communications qui ne sont pas diffusés par l'intermédiaire des pouvoirs locaux sont également diffusés uniquement en néerlandais dans les communes à facilités. La Commission est d’avis que cela va à l'encontre de l’économie générale de la loi, qui est de créer des régions linguistiques homogènes d’une part, et de garantir des facilités aux minorités linguistiques de certaines communes d'autre part. Dans certains cas, il doit donc être possible d’utiliser le français.1
Tel est le cas quand:
Ainsi, la Commission autorisa pour les communes à facilités l'utilisation du néerlandais et du français pour la diffusion d’avis relatifs à la santé publique dans le magazine De Vlaamse Brabander2. Selon l’adjoint du gouverneur, il était certainement défendable de souscrire à ce point de vue en ce qui concerne les avis sur la crise sanitaire.
L’adjoint du gouverneur évoqua également le point de vue de la Commission sur l'utilisation supplémentaire d'autres langues utiles, qui devrait être possible dans toutes les communes dans certaines situations, moyennant le respect cumulé des conditions suivantes :3
Elle considérait que les avis sur la vaccination, comme p.ex. la vidéo, remplissaient sans aucun doute les deux premières conditions et la quatrième condition:
La condition selon laquelle l'utilisation d'autres langues utiles doit être limitée à un public cible spécifique pouvait poser des problèmes quant à sa délimitation concrète.
Au vu des circonstances exceptionnelles, l'adjoint du gouverneur souligna qu'il était primordial d’atteindre autant de personnes que possible pour assurer la réussite de la campagne contre le coronavirus. Au moins 70 % de la population devrait être vaccinée pour obtenir une immunité de groupe, ce qui réduirait la pression sur les hôpitaux. Selon les experts du coronavirus qui participaient à la task force du gouvernement fédéral, cela équivaudrait à toutes les personnes à partir de 18 ans.
Il était d'autant plus important d'atteindre tous les membres du groupe cible qu'un sondage réalisé à l'époque montrait que 84 % des personnes interrogées se déclaraient prêtes à se faire vacciner. Toutefois, il s'agissait de personnes conscientes des risques liés au covid. Pour une autre partie de la population, la vaccination semblait moins évidente.
L’adjoint du gouverneur fut d’avis que pour convaincre ces personnes des efforts supplémentaires étaient certainement justifiables.
En outre, l’adjoint du gouverneur estima que le contexte devait également être abordé dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH). En effet, l'article 2 de la CEDH prévoit une obligation substantielle pour les autorités de tout mettre en œuvre, notamment en garantissant la sécurité des patients et l'accès aux soins médicaux, afin d’éviter des décès prématurés.4
Compte tenu de la gravité de la crise sanitaire et afin d'augmenter le succès de la campagne de vaccination du gouvernement, l'adjoint du gouverneur considéra qu’il était avisé d’utiliser d'autres langues utiles.
Ce point de vue fut partagé par le ministre flamand des Affaires intérieures, qui était d’avis que les circonstances dans lesquelles toute la population devait être informée rapidement et de manière adéquate sur la campagne de vaccination justifiaient d’offrir l'information en plusieurs langues là où il y a un grand nombre de personnes qui ne parlent pas le néerlandais.5
Notes de bas de page
1 Voir e.a. CPCL, 5 octobre 1967, avis 1.868; 18 novembre 1971, avis 3.261; 20 juin 1985, avis 17.003; 22 novembre 1990, avis 19.193; 28 mars 1991, avis 22.125; 22 janvier 1992, avis 23.142; 3 mars 1993, avis 24.134; 10 mars 1994, avis 25.109 et 25.111; 9 février 1995, avis 26.053; 9 décembre 1999, avis 29.043/C et 22 décembre 2005, avis 37.108.
2 CPCL, 18 septembre 2009, avis 40.093.
3 Voir e.a. CPCL, 29 juin 2018, avis 50.193.
4 R.E. van Hellemondt, “Commentaar bij artikel 2 EVRM”, dans Tekst en commentaar Gezondheidsrecht, édition 2019, Wolters Kluwer.
5 Parl.fl., Com. Binnenlands Bestuur, 19 janvier 2021, question n° 1306.
Les vidéos sur la page Facebook du gouverneur sont en principe publiées en néerlandais. Compte tenu de la gravité de la situation sanitaire, qui obligea les autorités de prendre des mesures drastiques, et de la nécessité d'atteindre le public le plus large possible pour pouvoir parler d’une stratégie de vaccination réussie, l'adjoint du gouverneur jugea opportun de faire usage des possibilités offertes par la jurisprudence d’avis constante de la Commission permanente de Contrôle linguistique.
Selon l’adjoint du gouverneur, une approche rigide en matière de l’emploi des langues serait moins efficace si on voulait convaincre les personnes qui hésitaient à se faire vacciner. Elle estima donc qu’il était souhaitable d'informer le public des communes périphériques également en français, même s'il ne s'agit pas toujours d'informations imposées par la loi. Le coronavirus ne connaissant ni langues ni frontières, l'emploi d'autres langues utiles pouvait certainement être envisagé. Cela n'implique pas nécessairement que tout le matériel de la campagne soit intégralement traduit. Ce qui est important, c’est que la population soit informée correctement et en toute transparence dans une langue qu'elle comprend.
Elle souligna également que, sur la base des mêmes considérations, on pouvait attendre des pouvoirs locaux des communes périphériques qu’ils tiennent également compte de la situation exceptionnelle. Par conséquent, il ne lui semblait pas opportun qu’à ce moment, les pouvoirs locaux adhéreraient à une application rigide de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative et n’incluraient ou ne mentionneraient pas sur leur site web, compte Facebook ou Twitter les informations fournies par la province parce qu'une version en langue française n'était pas disponible.
Une solution pratique et peu coûteuse pourrait consister à diriger les habitants des communes à facilités qui recherchent des informations en français sur l'utilité de la vaccination, vers des sites internet analogues. Ainsi, l'adjoint du gouverneur suggéra la possibilité de demander aux services des gouverneurs des provinces wallonnes s’ils disposaient de matériel d'information similaire. Il pourrait également être utile de référer aux sites des services fédéraux ou de la Communauté française.
La question du service fédéral Noodplanning – Afdeling Vlaams-Brabant de diffuser la vidéo sur la campagne de vaccination par le biais des canaux d'information communaux suscita une question supplémentaire quant à la langue des campagnes de vaccination contre le coronavirus et le matériel émanant de et diffusé par les autorités flamandes. En effet, le site web www.laatjevaccineren.be offrait également une vidéo sur la campagne de vaccination. Cette vidéo, tout comme celle sur le compte Facebook du gouverneur, était seulement disponible en néerlandais. Une commune périphérique demanda au service Noodplanning de l'informer dès que ce matériel de campagne serait disponible dans les deux langues.
Les services du gouvernement flamand doivent respecter les obligations linguistiques reprises dans la loi ordinaire du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (LORI). En vertu de l’article 36, § 2 de cette loi, les avis et communications destinés au public des communes à facilités doivent être diffusés en néerlandais et en français.
Spécifiquement pour les avis et communications sur un site web, la Commission permanente de Contrôle linguistique établit une distinction entre :
La Commission justifie cette distinction, qu’on ne retrouve pas dans la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, par le fait que l’application simple de cette loi reviendrait à établir un bilinguisme généralisé, ce qui n'est pas conforme à l'intention du législateur.1
Lorsque des avis des autorités flamandes sont diffusés par les services du gouverneur ou des pouvoirs locaux, le régime auquel ces services sont soumis doit être appliqué. Dans les communes périphériques, les avis sont diffusés en néerlandais et en français, la priorité étant donnée au néerlandais, conformément à l'article 24 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative.
La loi sur l’emploi des langues en matière administrative doit être strictement appliquée. Compte tenu du contexte de la question, l'utilisation d'autres langues utiles pourrait certainement être envisagée, conformément aux avis de la Commission permanente de Contrôle linguistique. La communication doit toutefois répondre à 4 conditions cumulatives (exceptionnel, objectif particulier, public cible spécifique, utilisation d'autres langues en plus du néerlandais).
Le ministre flamand des Affaires intérieures estima que dans la situation sanitaire dans laquelle nous nous trouvions à l'époque, il convenait de faire usage de ces possibilités.2 Cela ne signifie pas que l'ensemble du matériel de campagne doive être traduit intégralement.
Notes de bas de page
1 CPCL, note de principe – Le régime linguistique des formulaires sur les sites internet, point 2.
2 « La crise du coronavirus est visiblement une circonstance exceptionnelle. En raison de la pandémie de COVID-19, la santé et la sécurité de l'ensemble de la population sont en danger et doivent être protégées. Pour ce faire, toute la population doit être informée rapidement et de manière adéquate des mesures prises, y compris la campagne de vaccination. Dans de telles circonstances, outre la langue administrative prescrite, l'information peut également être diffusée dans d'autres langues utiles là où un grand nombre de locuteurs de langue étrangère sont présents. » (trad.), Parlement flamand, 19 janvier 2021.
Un habitant de Vilvorde demanda à l’adjoint du gouverneur si la ville ne viola pas la loi si elle adressa des avis en français aux habitants.Les faits ne s'étant pas produits dans une commune périphérique, l’adjoint du gouverneur n'était pas compétente pour traiter le dossier. Dès lors, elle se limita aux informations générales suivantes.
Vilvorde n'étant pas une commune à facilités, la ville doit en principe utiliser le néerlandais dans sa communication avec les habitants.
L'adjoint du gouverneur informa l’habitant en question que la Commission permanente de Contrôle linguistique considère qu’une communication multilingue peut être souhaitable dans un nombre limité de cas. La communication doit toutefois répondre à 4 conditions cumulatives (exceptionnel, objectif particulier, public cible spécifique, utilisation d'autres langues en plus du néerlandais). Cette exception à la loi sur l’emploi des langues en matière administrative doit toutefois être limitée à ce qui est absolument nécessaire pour l'intérêt public.
Par souci d'exhaustivité, l'adjoint du gouverneur informa le plaignant qu’il pouvait également s'adresser à la Commission permanente de Contrôle linguistique et au gouverneur du Brabant flamand, qui sont tous deux compétents pour traiter des plaintes relatives à l’emploi des langues en matière administrative par les services des communes linguistiquement homogènes du Brabant flamand.