Le droit à un logement décent est repris à l’article 23 de la Constitution. À travers le Code flamand du logement, les autorités publiques visent à garantir ce droit. Chacun a le droit de vivre dans une habitation sûre et saine, répondant à certaines normes de qualité minimales en matière de sécurité, de santé et de confort de base. Les communes jouent un rôle de coordinateur dans la politique locale du logement, ce qui implique qu’elles encouragent, entre autres, la réalisation de projets de logement social sur leur territoire et veillent à la qualité du patrimoine immobilier.
En mars 2021, une commune périphérique demanda si la lettre invitant les habitants à participer à une enquête sur les normes d’occupation des logements dans la commune pouvait être envoyée dans les deux langues. Le texte néerlandais se trouverait au recto avec la mention « Franstalige versie op keerzijde, Texte français en tête-bêche », le texte français figurerait au verso.
La commune prévoyait d’envoyer la lettre, adressée « Aan de inwoners van [adres] » (aux habitants de [adresse]), à un nombre limité de familles, sélectionnées en fonction de la composition du ménage et de l’emplacement géographique de leur logement. Pour remplir l’enquête, plusieurs options étaient prévues: sur la version papier jointe à la lettre, ou en ligne via un lien ou un code QR dans la lettre. Les données seraient traitées de manière anonyme.
En fonction de la méthode de distribution, une lettre d’enquête peut être considérée comme un avis au public ou un rapport avec un particulier.
En effet, l’aspect non individualisé et le contenu identique sont des caractéristiques essentielles qui distinguent les avis et communications des rapports avec des particuliers. Ainsi, une communication peut perdre son caractère général si elle mentionne le nom du destinataire sur la lettre d’invitation ou dans le formulaire d’enquête, ou si des options ont été cochées.
La frontière entre les deux qualifications s’avère parfois difficile à tracer. La pratique a montré que dans le cadre de projets d’enquête, de petits détails dans l’approche ou la réalisation peuvent entraîner une autre qualification, et, par conséquent, l’application d’un autre régime linguistique. Bien qu'il y eût des indications dans les deux sens, l’adjoint du gouverneur estima que, dans ce cas précis, la qualification ‘avis et communication’ pouvait être retenue.
Sur la base de l'article 24 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, la lettre et le formulaire d’enquête pouvaient donc être diffusés en néerlandais et en français, le néerlandais ayant la priorité.
À cette fin, l’on pourrait faire suivre la lettre et le formulaire d'enquête en néerlandais par leur version française. Sur la version française des deux documents, la mention ‘traduction du néerlandais’ pouvait être ajoutée pour ne laisser aucun doute sur la priorité du néerlandais.
L’envoi de la lettre d’invitation et du formulaire d’enquête dans les deux langues offre davantage de garanties pour la réussite de l’initiative. En effet, la pratique a déjà montré que la faible réponse aux enquêtes peut être partiellement expliquée par une connaissance insuffisante du néerlandais de certains répondants. En outre, cette approche augmente les garanties pour préserver l’anonymat lors du traitement des données, parce que les habitants souhaitant répondre en français ne doivent pas contacter les services communaux.
En mai 2021, une agence locative sociale d’une commune périphérique contacta l’adjoint du gouverneur suite à un mail du contrôleur de l’agence Wonen Vlaanderen (ci-après le contrôleur). L’agence locative sociale devait préciser son approche administrative ainsi que la procédure relatives aux contrôle et suivi de l’obligation de connaissance linguistique du néerlandais pour les locataires sociaux. En effet, conformément au Code flamand du Logement, ces personnes doivent démontrer leur connaissance du néerlandais, la langue administrative.1
Selon la Cour constitutionnelle, les locataires sociaux des communes périphériques qui souhaitent utiliser le français dans leurs contacts avec l’agence locative sociale ne doivent pas démontrer cette connaissance.2
Selon le contrôleur, les locataires non-francophones (qui parlent une autre langue que le français, comme le néerlandais, l’anglais, l’arabe ou le polonais) doivent, conformément au Code flamand du Logement, prouver leur connaissance du néerlandais, étant donné qu’ils ne peuvent pas invoquer le régime des facilités prévu dans la loi sur l’emploi des langues en matière administrative.
Cette position du contrôleur appela plusieurs questions de la part de l’agence locative sociale. En effet, il en résulterait en pratique qu’elle devrait également, d’une manière ou d’une autre, contrôler ou évaluer la connaissance du français des locataires.
Notes de bas de page
1 Code flamand du Logement, article 6.20, al. 1er, 5° et 6°.
2 C.C., 17 octobre 2019, arrêt 136/2019; 10 juin 2008, arrêt 101/2008.
L’adjoint du gouverneur est habilitée à surveiller l’application correcte de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative; l’application du Code flamand du Logement ne relève pas de ses compétences. Toutefois, la position du contrôleur touche au champ d’application de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, car il s’agit essentiellement des conditions qui doivent être remplies pour pouvoir bénéficier du régime des facilités. Par conséquent, l’adjoint du gouverneur fut d’avis qu’elle était compétente pour traiter le dossier.
L’adjoint du gouverneur examina d’abord les obligations linguistiques imposées aux locataires sociaux par le Code flamand du Logement et constata qu’il s’agit d’obligations linguistiques pour le néerlandais. Elle n’est pas compétente pour répondre aux questions sur la manière dont les locataires de logements sociaux peuvent démontrer la connaissance requise du néerlandais.
L’article 6.20 du Code flamand du Logement énumère plusieurs obligations du locataire social, dont l’obligation de démontrer une connaissance linguistique de base du néerlandais. Cette obligation s’applique, sans préjudice des facilités linguistiques, également au locataire d’un logement social dans une commune périphérique.
La Cour constitutionnelle observa que, « pour que les mots «sans porter préjudice aux facilités » aient une portée réelle, les dispositions décrétales […] ne peuvent être interprétées que comme ne s’appliquant pas aux […] locataires de logements sociaux […] situés dans les communes de la périphérie ou de la frontière linguistique […] qui entendent bénéficier de ces facilités linguistiques.»1 Par conséquent, l’exigence de connaissance linguistique ne s’applique pas à ces locataires.2
L’article 6.38 de l’arrêté du Gouvernement flamand portant exécution du Code flamand du Logement de 2021 reprend une liste de brevets permettant aux locataires de prouver la connaissance requise du néerlandais.
Le contrôle du respect du Code flamand du Logement de 2021 relève de la compétence du service Toezicht de l’agence Wonen-Vlaanderen.
Notes de bas de page
1 C.C., 10 juin 2008, arrêt 101/2008, (considérant B.37), voir également l’arrêt 136/2019 du 17 octobre 2019 (considérant B.13.2).
2 C.C., 17 octobre 2019, arrêt 136/2019, considérant B.13.3.
Toutefois, les questions de l’agence locative sociale portèrent sur la connaissance du français. En effet, le contrôleur était d’avis qu’une interprétation selon laquelle les facilités seraient également attribuées aux habitants non francophones des communes à facilités, p.ex. aux habitants de langue étrangère, constituerait une application erronée du régime des facilités, c’est-à-dire une application trop large qui méconnaîtrait le caractère exceptionnel des facilités et porterait atteinte à la primauté de la langue administrative.
Par conséquent, selon le contrôleur, l’exigence de connaissance du néerlandais
Il précisa que les locataires francophones pouvaient être distingués des locataires non francophones sur la base d’un critère objectif, à savoir la connaissance du français.
L’agence locative sociale soulevait les quatre questions suivantes :
Conformément à l’article 25 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, l’agence locative sociale, en tant que service local établi dans une commune périphérique, doit utiliser le français dans ses contacts avec le locataire d’un logement social situé dans une commune périphérique, si le locataire en fait la demande. Dans la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, le choix du français n’est soumis à aucune condition relative à la langue usuelle ou maternelle de l’habitant, ni lié à des caractéristiques personnelles telles que l’origine, la nationalité, ou le fait d’être francophone. Les facilités linguistiques sont octroyées selon les critères suivants:
Seuls les habitants des communes périphériques peuvent bénéficier du régime des facilités. L’obligation linguistique est imposée aux locataires d’un logement social et non aux candidats locataires ; concrètement elle est donc imposée aux habitants de la commune où est situé le logement social.
Dans les communes périphériques, le régime des facilités prévoit des dérogations au principe général de l’utilisation du néerlandais, en faveur du français. Le régime des facilités ne s’applique pas aux autres langues.
La loi sur l’emploi des langues en matière administrative règle principalement l’emploi des langues par les services administratifs. Dans ce contexte, elle reprend également des exigences linguistiques pour le personnel de ces services. Toutefois, ces exigences ne s’appliquent pas aux habitants qui souhaitent invoquer le droit aux facilités.
Le libre choix précité, qui n’est pas entouré de conditions supplémentaires relatives aux connaissances linguistiques ou n’exige pas une certaine aisance à s’exprimer en français, ressort non seulement de la formulation du prescrit de loi qui régit l’emploi des langues pour les rapports avec les particuliers, mais également des autres dispositions du Chapitre 3, Section 4 – Communes périphériques, de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. Les critères repris par la loi sont :
L’adjoint du gouverneur constata que la loi sur l’emploi des langues en matière administrative n’exige nulle part qu’un habitant d’une commune périphérique démontre un certain degré de connaissance du français pour pouvoir bénéficier du régime des facilités. En outre, la loi ne prévoit pas de directives pour tester ou prouver la connaissance du français à cette fin.
Elle attira également l’attention sur le fait que la loi sur l’emploi des langues en matière administrative confie l’organisation de tests linguistiques et la certification en langues exclusivement au bureau de sélection fédéral, le Selor. Le Selor atteste la connaissance du néerlandais, du français ou de l’allemand comme langue administrative ou seconde langue des fonctionnaires. Il n’existe donc actuellement aucune base légale permettant aux bureaux de location sociale de certifier valablement la connaissance du français pour l’octroi de facilités.
Selon le contrôleur, les locataires non francophones ne peuvent pas bénéficier du régime des facilités, car il s’applique uniquement à l’emploi du français et dans la relation avec les habitants francophones des communes périphériques.
Le contrôleur souligna à juste titre que dans les communes périphériques, la loi sur l’emploi des langues en matière administrative ne prévoit des facilités que pour le français. Cependant, son point de vue distinguait les locataires francophones des locataires de langue étrangère (c’est-à-dire non francophones). Une telle condition aurait logiquement obligé le législateur à inclure dans la réglementation des critères permettant de déterminer de manière claire et objective à partir de quand un habitant d’une commune périphérique peut être considéré comme francophone. Selon l’adjoint du gouverneur, tel n’est pas le cas.
En revanche, la loi sur l’emploi des langues prévoit, bel et bien un critère objectif, à savoir la langue du diplôme de recrutement, qui permet d’attribuer aux fonctionnaires de notamment les services centraux un rôle linguistique.
L’adjoint du gouverneur considéra une approche prudente plus appropriée, en tenant compte des positions sur la sous-nationalité et du principe de l’égalité de traitement des étrangers.
Il n’y a pas de sous-nationalités en Belgique. La structure de l’État belge est basée sur 4 régions linguistiques, 3 communautés et 3 régions. Le ressort territorial des communautés n’est pas nécessairement lié à une région linguistique spécifique et repose sur le principe de l’absence de sous-nationalité.
La répartition en régions linguistiques est reprise à l’article 4 de la Constitution. Le Conseil d’État considère qu’avec cette répartition en régions linguistiques, « le constituant a entendu non pas faire une constatation ethnographique, mais instaurer un concept juridique » selon lequel la région linguistique « s’entend non pas d’une région où une langue déterminée est usitée en fait mais d’une région dans laquelle ou à l’égard de laquelle cette langue doit être usitée en droit ».1
Bien que la Belgique ait signé en 2001 la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, celle-ci n’a pas encore été ratifiée par toutes les entités fédérées. En effet, il n’y a pas de consensus sur la définition du concept de minorité nationale. Depuis 1999, les différents gouvernements flamands ont systématiquement précisé que les habitants francophones de la grande Périphérie bruxelloise ne sont pas considérés comme une minorité.
Cet aspect est également clarifié dans la circulaire flamande BA 97/222 du 16 décembre 1997. En effet, selon le point 2 de l’introduction de cette circulaire le principe de la sous-nationalité n’existe pas en Belgique; le recensement linguistique étant aboli par la loi du 8 novembre 1962, il n’existe donc pas d’inventaire des francophones dans la région de langue néerlandaise.
Notes de bas de page
1 C.E., 17 août 1973, arrêt 15.990.
2 Circulaire BA 97/22 du 16 décembre 1997 relative à l’emploi des langues dans les administrations communales de la région de langue néerlandaise.
Selon l’adjoint du gouverneur, on ne peut exclure que le point de vue du contrôleur soit potentiellement en conflit avec l’article 191 de la Constitution:
« Tout étranger qui se trouve sur le territoire de la Belgique jouit de la protection accordée aux personnes et aux biens, sauf les exceptions établies par la loi. »
Cet article de la Constitution garantit l’égalité de traitement des habitants de nationalité étrangère. L’adjoint du gouverneur n’a pas connaissance d’une exception légale à cet égard en ce qui concerne l’application de la législation linguistique.
Le contrôleur était d’avis que, contrairement aux locataires non francophones, les locataires francophones d’un logement social dans une commune périphérique ne doivent pas démontrer une connaissance de base du néerlandais.
Il décrit les locataires non francophones comme des habitants qui parlent une autre langue que le français, par exemple le néerlandais ou l’anglais, l’arabe, le polonais, etc. L’agence locative sociale craignait que ce point de vue n’implique une distinction discriminatoire.
En effet, en Belgique, la discrimination sur la base de critères tels que la langue, l’origine ethnique ou la nationalité, ou de caractéristiques personnelles est interdite et punissable. La discrimination fondée sur la langue est punissable en vertu de la loi anti-discrimination du 10 mai 2007. La discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique est sanctionnée en vertu de la loi antiracisme du 30 juillet 1981. Cette loi transpose les directives européennes en la matière et met en œuvre les obligations imposées par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de l’ONU. L’article 1er de cette convention définit le racisme comme toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel, ou dans tout autre domaine de la vie publique.
S’il s’agissait ou non d’une violation effective des lois précitées dans ce dossier est une question qui ne relève pas des compétences de l’adjoint du gouverneur.
En Belgique plusieurs institutions agissent dans le cadre des lois anti-discrimination. Quant au critère de la langue, aucun organisme public spécifique n’a encore été désigné. Unia est compétente pour le critère de discrimination de l’origine ethnique. Vu le lien entre la langue et l’origine ethnique, l’adjoint du gouverneur lui a soumis la problématique soulevée par l'agence locative sociale.
Il ressortit de la réponse d’Unia qu’un risque de discrimination indirecte basée sur la nationalité et/ou l’origine nationale ou ethnique ne pouvait pas être écarté.
L’agence locative sociale voulait également savoir quelle législation prévalait: le Code flamand du Logement ou la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. Dans la hiérarchie des normes, le Code flamand du Logement 2021 et la loi sur l’emploi des langues en matière administrative sont mis sur un pied d’égalité. Toutefois, ils s’appliquent chacun dans les domaines pour lesquels le législateur qui a édicté la norme est compétent.
Sur la base de l’article 129, § 2 de la Constitution, l’État fédéral est compétent pour régler l’emploi des langues en matière administrative dans les communes périphériques.
En outre, la loi sur l’emploi des langues en matière administrative est d’ordre public. Une telle loi touche aux intérêts essentiels de l’État ou de la collectivité.1 Les services administratifs peuvent uniquement y déroger valablement si une décision judiciaire les y oblige.
Note de bas de page
1 Cass., 9 décembre 1948 et 10 mars 1994.