Construire ou rénover une maison est un véritable défi. Avant le début des travaux, de nombreuses formalités doivent être accomplies, dont la publication de l’octroi du permis de construire. Celui-ci doit être affiché de manière lisible et conformément aux lois linguistiques.
Les prescrits linguistiques applicables sont assez clairs: dans les communes périphériques, les avis et communications au public doivent être affichés en néerlandais et en français, le néerlandais ayant la priorité. Dans le passé, le service a néanmoins reçu des demandes d’information ou des plaintes à ce sujet. La question fut de nouveau soulevée pendant la période couverte par ce rapport.
En avril 2021, un membre du Parlement flamand demanda à l'adjoint du gouverneur de vérifier si les prescrits de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative avaient été respectés lors de l'affichage d'un permis d'environnement dans une commune périphérique.
En l'espèce, le permis d'environnement avait été délivré par le collège des bourgmestre et échevins. En vertu de l'article 26, les permis pour les particuliers sont délivrés en néerlandais ou en français, selon le souhait du demandeur.
Conformément à l'article 24 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, un permis d’environnement doit être publié en néerlandais et en français, le néerlandais ayant la priorité, afin de permettre aux habitants d’introduire un recours éventuel.
La photo envoyée à l'appui montrait une pancarte sur laquelle ne figurait que le texte de l'avis en français. Or, selon le fonctionnaire d’environnement de la commune périphérique concernée, il ressortait des photos du dossier de permis numérique que le document avait bien été affiché dans les deux langues. En effet, les photos transmises par le fonctionnaire d’environnement montraient un panneau d'affichage avec le texte en néerlandais et en français.
Lors d’une vérification sur place, un collaborateur de l’adjoint du gouverneur constata que, comme l’indiquaient les photos du dossier numérique, le permis avait été affiché dans les deux langues. L'adjoint du gouverneur conclut par conséquent que le permis avait été affiché conformément aux règles applicables.
En février 2021, une commune périphérique contacta l’adjoint du gouverneur, parce qu’un habitant avait exprimé son mécontentement à l'égard d'un panneau dans la commune annonçant en français la vente d'appartements et de maisons. La commune voulait savoir si l’article 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative était applicable, compte tenu de l’indication obligatoire des prix prévue dans la législation sur la protection des consommateurs. Elle demandait également par quelles mesures elle pouvait éventuellement empêcher l’installation de panneaux publicitaires uniquement en français.
Le panneau en question concernait la vente de diverses unités résidentielles et commerciales et était installé sur un chantier de construction dans une commune périphérique par une agence immobilière établie dans la Région de Bruxelles-Capitale. Il était en effet rédigé uniquement en français et contenait, outre l'annonce ‘À vendre’, les coordonnées de l'agence et une brève description des unités résidentielles ou commerciales mises en vente. L'entreprise de construction, située dans une commune néerlandophone sans statut linguistique spécial, avait également placé un panneau d'affichage à quelques mètres de là, près de son bureau de vente temporaire. Ce panneau était rédigé en néerlandais et en français.
Les panneaux avaient été installés par des entreprises privées qui ne sont en principe pas tenues d'appliquer les dispositions de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, étant donné que celle-ci s'applique principalement aux services publics. L'article 52 de la loi règle toutefois la langue des documents imposés par la loi des entreprises privées situées dans une commune périphérique.
Dans un contexte de relations commerciales et de messages publicitaires, les commerçants et les entreprises sont libres de choisir la langue dans laquelle ils s'adressent à leurs clients (potentiels). En effet, les activités purement commerciales des entreprises relèvent entièrement du libre emploi des langues garanti par la Constitution.
L'article 30 de la Constitution garantit le libre emploi des langues dans l’espace privé. Dans l'espace public, des règles linguistiques peuvent être imposées, mais uniquement par la loi et pour un nombre limité de domaines. Ainsi, le gouvernement a imposé aux entreprises un certain nombre d'obligations relatives à l’emploi des langues.
Les obligations linguistiques applicables aux entreprises privées ont été imposées pour des raisons diverses, p. ex. pour protéger le consommateur ou dans le cadre de la réglementation de l’emploi des langues en matière administrative. Les prescrits linguistiques que les entreprises doivent prendre en compte sont dès lors inscrits dans plusieurs lois.
Sur la base de l’article 129 de la Constitution, des règles linguistiques peuvent être promulguées pour les relations sociales et les documents imposés par la loi des entreprises privées.
La réglementation actuelle est inscrite dans trois normes:
L’article 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, le décret linguistique de la Communauté flamande1 et le décret du 30 juin 1982 de la Communauté française2 ne sont pas d’application sur les avis commerciaux. La section de législation du Conseil d’État part du principe que l’emploi des langues dans les commerces et vis-à-vis des consommateurs est libre.3 Toutefois, en vue de la protection du consommateur, de la santé publique ou de l’environnement, le Conseil accepte que l’emploi d’au moins la langue de la région soit rendu obligatoire.
Notes de bas de page
1 Décret du 19 juillet 1973 du Conseil flamand réglant l'emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi qu'en matière d'actes et de documents d'entreprise prescrits par la loi et les règlements.
2 Décret de la Communauté française du 30 juin 1982 relatif à la protection de la liberté de l’emploi des langues et de l’usage de la langue française en matière de relations sociales entre les employeurs et leur personnel ainsi que d’actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements.
3 C.E., avis 66.696 du 13 février 2020, 19.684/1 du 12 juillet 1990 et 13.038/1 du 27 avril 1978.
Vu qu’aucun des panneaux n’affichait de prix, la question de savoir si les règles de la législation sur la protection des consommateurs relatives à l’indication des prix conduiraient à l’application de l’article 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative ne devait pas être examinée.
La commune ne se référa manifestement pas uniquement aux langues utilisées sur les panneaux de ce chantier en particulier. L'adjoint du gouverneur considéra donc opportun d’examiner la question plus en détail.
Il ressortit de son analyse que l’application consécutive des deux législations conduisait à des conséquences quelque peu surprenantes qui ne semblaient pas correspondre à l’esprit de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative. Elles ne répondaient pas non plus aux attentes des habitants : nombre d’habitants de la Périphérie flamande sont en effet contrariés par le fait que, dans leurs avis publicitaires, les entreprises ne tiennent pas compte de la langue de la région. Et c'est précisément dans ce domaine qu'il convient de noter que l’application systématique et successive des deux législations ne conduit pas nécessairement à l’emploi du néerlandais.
En effet, le critère déterminant la norme (art. 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative, le décret linguistique flamand ou le décret de la Communauté française) qui doit être respectée pour les documents des entreprises imposés par la loi est l’endroit où est établi le siège d’exploitation, ce qui n’est pas nécessairement la commune où l’avis est affiché.
Les langues à utiliser dépendent de la commune où se situe le siège d’exploitation.
Selon la Cour constitutionnelle, le législateur utilise le terme ‘siège d’exploitation’ pour référer au lieu d’exploitation effectif ou à la filiale à laquelle le travailleur est lié avec une certaine stabilité. Il ne s’agit pas nécessairement du siège social de l’entreprise, ni du lieu de travail concret.
Plus précisément, l’adjoint du gouverneur examina les deux situations suivantes :
1. Les panneaux publicitaires installés par une firme de construction
L’analyse révéla qu’il n’est pas si évident de qualifier un chantier ou un bien immobilier à vendre de ‘siège d’exploitation’, compte tenu de la nécessité d’une certaine stabilité qui ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle.
Quant au ‘bureau de vente temporaire’ installé par l’entreprise de construction sur le chantier pendant les travaux, la question se pose également de savoir dans quelle mesure on peut parler d’une certaine stabilité des activités au sens des arrêts de la Cour constitutionnelle.
L’adjoint du gouverneur constata que si ce bureau de vente temporaire devait être considéré comme siège d’exploitation, une situation complexe se créerait. En effet, dans cette hypothèse, l’entreprise de construction devrait appliquer des règles différentes pour les documents imposés par la loi et les relations sociales avec les travailleurs qu’elle emploie dans le bureau de vente, dès que ce dernier est (temporairement) installé dans une commune d’une autre région linguistique pour la durée d’un autre projet de construction.
Elle appela à une certaine prudence: il s’agit principalement d’une question de fait qui est analysée par le tribunal lorsqu’il doit statuer sur une question concrète. Dès lors, l’adjoint du gouverneur considéra qu’elle n’était pas compétente pour se prononcer à ce sujet.
En ce qui concerne les panneaux installés sur un bien immobilier entièrement fini et mis en vente, ce bien ne peut en aucun cas être considéré comme un siège d’exploitation de l’entreprise de construction.
2. Les panneaux publicitaires installés par une agence immobilière
En ce qui concerne l’agence immobilière, il est difficile d’argumenter que l’installation d’un panneau publicitaire sur un chantier de construction et/ou l’organisation de visites d’un appartement témoin entraîne un changement du siège d’exploitation.
Dans l’hypothèse où une indication de prix sur un panneau « À vendre » entraîne l’application des prescrits linguistiques applicables aux documents imposés par la loi émanant des entreprises, le siège d’exploitation de l’entreprise devient le facteur déterminant pour l’emploi des langues. Par conséquent, la langue employée sur le panneau ne correspond pas nécessairement à la langue de la commune où se trouve le bien, mais à la langue administrative de la commune où l’entreprise est établie.
Concrètement, cela signifierait que, pour un même bien dans une commune périphérique, le panneau devrait :
Selon l’adjoint du gouverneur, l’application successive des deux législations imposerait également des règles plus strictes pour les messages promotionnels émanant des entreprises établies dans une commune périphérique, par rapport aux prescrits applicables aux avis et communications au public émanant des services locaux. En effet, sur la base de l’article 24 LCLA, les services communaux doivent informer le public en néerlandais et en français, tandis que les entreprises privées établies dans une commune périphérique pourraient seulement utiliser le néerlandais.
Elle estima que cela ne correspondait guère aux objectifs du législateur lorsqu’il a imposé des obligations linguistiques aux entreprises, ces obligations étant principalement abordées dans le contexte de l'interaction entre les entreprises et les administrations publiques, plutôt que dans le cadre d'une relation entre les entreprises et les consommateurs.
On attend des services et des entreprises publics qu’ils prennent en compte la langue de la région lorsqu’ils agissent en dehors de leur circonscription et dans une autre région linguistique. Cependant, ce point de vue n’est pas tout bonnement transposable aux entreprises privées. En effet, pour les deux catégories l’emploi des langues est défini en fonction de critères différents. Pour les services publics, il s’agit notamment de leur circonscription; pour les entreprises, le critère déterminant est le siège d’exploitation, et non la zone géographique dans laquelle elles opèrent.
La loi sur l’emploi des langues en matière administrative étant une lex généralis ou loi générale, elle ne doit plus être appliquée si l’emploi des langues dans une certaine situation est réglée par une autre loi. Bien que l’adjoint du gouverneur ne soit pas compétente pour la protection des consommateurs, rien dans cette réglementation ne semblait aller dans ce sens.
Selon la section Législation du Conseil d’État, le législateur peut imposer l’emploi d’au moins la langue de la région pour protéger le consommateur. Des obligations dans ce sens ont été intégrées dans le Livre VI du Code de droit économique (CDE) - Pratiques du marché et protection du consommateur. Il s’agit d’une transposition de différentes directives européennes en droit belge. Les directives européennes poursuivent un triple objectif: informer le consommateur de manière adéquate, stimuler l’information multilingue et laisser les États membres libres en matière de l’emploi des langues.
Toutes les dispositions relatives à la protection du consommateur du Livre VI du CDE ne s’avèrent pas être d’application sur les transactions immobilières.
L’article VI.2. CDE, qui introduit une obligation générale d’information, s’applique bien aux biens immobiliers. L’entreprise doit informer le consommateur de manière claire et compréhensible sur le prix total du produit avant qu’il ne soit lié par le contrat. Dans la vente de biens immobiliers, la vente entre les parties est conclue dès qu’il y a un accord de volontés sur le bien et le prix. Selon l’une des plus anciennes lois régissant la protection des consommateurs dans le secteur immobilier, à savoir la loi Breyne1, le prix total doit être connu le jour de la signature de la convention sous seing privé, car elle reprend le prix.
Note de bas de page
1 Loi du 9 juillet 1971 réglementant la construction d'habitations et la vente d'habitations à construire ou en voie de construction. Toutefois, cette loi ne s’applique pas à toutes les transactions immobilières.
Les indications de prix sur des panneaux auxquels la commune faisait référence semblaient plutôt avoir pour objectif d’informer les acheteurs potentiels sur les attentes du vendeur en la matière. Il s’agit plutôt d’un ‘prix demandé’ qui pourrait encore changer en fonction des exigences spécifiques des acheteurs potentiels et de l’offre proposée.
Les litiges éventuels relatifs à l’exactitude du prix total et au moment où il doit être connu, ainsi que les pratiques publicitaires trompeuses, relèvent bien entendu de la compétence des services d’inspection du SPF Économie.
En outre, une application systématique et successive des prescrits en matière de protection des consommateurs et des obligations de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative conduirait concrètement à ce que des langues soient exclues.
Selon la jurisprudence d’avis de la section Législation du Conseil d’État, des prescrits linguistiques peuvent être définis pour des relations juridiques ou des situations qui ne relèvent pas des catégories pour lesquelles la Constitution permet expressément une réglementation de l’emploi des langues. Les pratiques commerciales ou la protection des consommateurs en sont des exemples. Toutefois, dans ces cas, des conditions plus strictes s’appliquent. Ainsi, s’il est possible de régler l’emploi d’une langue déterminée, il n’est pas possible d’en exclure une.
L’adjoint du gouverneur considéra que cela faisait surgir la question de savoir dans quelle mesure l’on pouvait encore parler d’une approche pertinente ou proportionnée par rapport aux objectifs des deux législations.
Selon elle, la prudence est de mise quant à l’application de l’article 52 de la loi sur l’emploi des langues en matière administrative aux panneaux de vente sur les chantiers et les biens immobiliers. Dans un contexte de relations commerciales et de messages publicitaires l’article 30 de la Constitution doit être pris en compte. En principe, l’emploi des langues en matière commerciale et vis-à-vis des consommateurs est libre. Les commerçants et les entreprises sont libres de choisir la langue dans laquelle ils s’adressent à leurs clients (potentiels).
Néanmoins, selon l’adjoint du gouverneur, le mécontentement des habitants néerlandophones des communes périphériques face à l’absence du néerlandais dans certaines publicités est compréhensible. L’on pourrait s’attendre à ce que les entreprises ou les commerçants tiennent compte de la langue de la commune où ils exercent leurs activités. En outre, une autre approche semble peu productive, car une partie des acheteurs potentiels pourrait préférer une entreprise qui elle emploie la langue de la région dans ses messages publicitaires.